Malgré tout, certains « îlots » surent créer des expériences alternatives durables, en groupes ou en comités plus restreints (couples, individus), par innovations dans les manières de procéder et de structurer. Ils ont persisté et signé positivement, inaugurant de nouvelles attitudes dans le penser et le faire. Le mérite de ces démarches plus radicales, encore relativement minoritaires, étant qu'elles servirent par la suite de référence pour les moins radicaux qui naquirent ou s'éveillèrent un peu plus tard...
Mais plusieurs aussi échouèrent malgré d'héroïques essais. Leur jeter la pierre ? Ils avaient le mérite d'explorer d'autres voies en un temps où on prétendait que les Trente glorieuses sont le rêve ultime et que, anyway, no other alternative ! Faut avoir vécu en ces temps-là pour bien sentir le poids de cette lourde unanimité.
Pour tirer leur épingle financière du jeu et par besoin d'une autre sociabilité, certains durent se convertir à des travaux saisonniers, à l'artisanat d'art, à des emplois dans les secteurs de la santé et de l'éducation ; là où il ne faut pas aller trop loin dans le compromis face aux autres et d'abord à soi-même.
Toujours est-il que notre petite famille (avec 3 enfants) persista en tant que néo-ruraux radicaux : 15 ans sans électricité, téléphone ni eau courante. Naissance et petite école à la maison + jardins et vache familiale. Pendant 15 ans ! A moins d'être grandement masochiste, c'est que cela nous contentait, non ?
Confort rustique, qu'on appelait ça. Equipés à l'ancienne mais relativement efficace. Pour l'eau, joug et seau à puiser tous les jours dans la rivière propre en face (faut dire qu'on était en forêt canadienne à la limite des régions habitées). Entre 5 et 8 seaux d'eau par jour pour une famille de 5 personnes. Ç''est ce qu'on pourrait appeler de l'auto-rationnement efficace pour ne pas assécher la planète ! Et le lave-linge ? manuel ! Germaine qu'il s'appelait. Faut pas croire : même avant l'invention des moteurs et ordinateurs, l'humanité avait bricolé mille systèmes mécaniques ingénieux à mouvoir par force humaine ou animale. Tout cela ayant le mérite de nous garder bien en forme.
Vous imaginez, les jeunes ! Sans téléphone, ni fixe et encore moins portable ! Pendant 15 ans !!Parfois, ma compagne entrouvrait la porte et me lançait : « André, téléphone ! ». Je commençais de réagir en déposant l'outil en main ; et éclatais de rire. Bonne blague ! Elle m'avait bien eu.
Et saisonnier dans un parc national tout proche. A l'automne, je faisais nos comptes et nous décidions si oui ou non nous allions demander l'assurance-chômage pour l'hiver. Et notons qu'en cette époque, ces systèmes de protection sociale accompagnaient le citoyen sans le considérer a priori comme suspect. Faut dire que c'était avant la casse de l’État-Providence et des filets sociaux. Néanmoins, certains automnes, nous jugions que nous avions assez de petites réserves pour traverser l'hiver (même à 5 personnes) ; et je m'abstenais donc de demander l'assurance-chômage pourtant facilement disponible sur demande.
Puis, les saisons tournant, nous avons – ma compagne et moi – emprunté des chemins divergents. Changeant ainsi la couleur de nos engagements écologiques. Pour ma part, je glissai alors de l'écologie pratique appliquée vers l'écologie politique viscérale avec, à la clef, de nombreuses marches et jeûnes militants pendant 30 ans de plus.
*
Aujourd'hui, je rigole doucement quand je constate que sur la plupart des médias, il ne se passe pas un jour sans qu'on nous entretienne de divers dossiers écologiques : agriculture bio, recyclage, circuits courts, troc, éviter la gabégie d'emballages, énergies renouvelables, etc. Bien sûr, ça fait plaisir. Et à la fois on remarque qu'on avait simplement eu raison trop tôt. Et on se dit : « De toute façon, il était plus que temps que ça devienne des préoccupations prioritaires». Jusqu'à voici à peine quelques années, nos sociétés n'en étaient encore qu'au constat du désastre et aux vœux pieux. Depuis peu, enfin des gestes concrets dans des directions déterminées. Et à coup lancé, le changement peut aller vite et loin. Car cohérence et urgence obligent !
Mais quand même curieux qu'on n'ait pas l'idée de venir nous demander : « Mais quelle mouche vous avait piquée pour être déjà comme ça voici 50 ans ? Comment avez-vous fait ? jusqu’à quel point avez-vous réussi ? Comment expliquez-vous vos échecs ? ».
Allez, je suis encore aussi impatient que vous de changements radicaux.
Et qu'on enlève le pouvoir à ces dinosaures antédiluviens (le déluge n'est-il pas un immense-méga dérèglement climatique?) qui ne jurent que par la croissance et le fric des bourses et actionnaires.
En attendant, oui, je joue au vieux (ce que d'ailleurs je deviens) en me permettant de raconter aux plus jeunes les quelques règles de jeu que nous avions adoptées nous pour rester, autant que faire se peut, cohérents et radicaux :
1) Cette société étant un tissu de mauvaises habitudes, ne pas se gêner pour en changer et expérimenter.
2) Rien n'est innocent dans le modernisme. Le trop efficace, trop facile et trop rapide se paie autrement ; en agressions multiples sur la Nature et la santé. Rester systématiquement méfiant.
3) Ne pas prétexter des enfants pour s'embourgeoiser.
4) Toute expérience qui nous semble valable – même radicale – nous y entrerons en famille, aussi avec les enfants. Et peu importe les critiques des « raisonnables ».
5) Mais à la fois, éviter la grande idéologie qui s'érige en dogmatisme. Car le grand idéologue manque de confrontation au réel. Quand il faut couper les bras et les jambes à une partie du réel pour le conformer à l'énoncé de principe, c'est que quelque chose ne va plus.
6) Le premier critère valable restant toujours, de toute façon, de trouver là où on se sent le mieux dans sa peau.
« Suis ton coeur ; que ton visage brille durant le temps de ta vie ». Haute antiquité égyptienne. Une des plus anciennes phrases dont l'humanité se souvienne. Et complètement actuel. J'ai connu des grands prosélytes du végétarisme qui, après 5 ans, se remettaient à manger des hamburgers. Ils avaient tenté l'expérience ; mais cela ne leur ressemblait pas assez.
Autres exemples ? Certains jurent par certaines techniques de la permaculture : Buttes et paillages. Pourtant, force est de constater que la butte convient à certains milieux et climats ; et pas du tout à d'autres. Idem pour le paillage : Autant il faut souvent pailler, autant ils se trouve aussi des moments pour « dépailler » quand, par exemple, l'excès d'humidité favorise trop les gastéropodes et la pourriture.
Et le véganisme ? D'abord, pour vous taquiner un peu, maintenant sur un tiers des produits bio c'est écrit « Végan » (même quand ça crève les yeux) > les communicants sont passés par là... Dire que les vieux végétariens de ma sorte (depuis plus de 50 ans) n'ont jamais vu le mot « végétarien » écrit nulle part. Fallait plutôt se battre pour savoir s'ils n'avaient pas utilisé du saindoux pour leur friture. On n'était pas supposé avoir droit de regard sur ce qui se passait en cuisine.
Non, plus sérieusement, je me réjouis vraiment de cet événement imprévisible qui a vu croitre si rapidement la conscience de la maltraitance animale. Après tout ce qu'on a fait subir à ces pauvres bêtes, merci pour votre venue et exigeante présence. Enfin, des gens pour rappeler impérativement aux modernes hors-sol que des kilos de viandes, se sont d'abord et surtout des animaux très souvent maltraités et cruellement assassinés.
Mais à la fois, j'ai connu de vieux amis qui en s'installant sur leur ferme ont hésité entre végétarisme et carnivorisme en élevant et tuant eux-mêmes leurs bêtes. Ils ont fait ce second choix. Et je leur ai dit : « Ce ne sera jamais mon choix. Mais si vous assumez complètement jusqu'à tuer les bêtes que vous allez manger ; et que vous savez le faire avec respect, gravité et reconnaissance pour la vie que vous prélevez, je comprends et accepte ».
Si tous les bouffeurs de bidoches devaient tuer eux-mêmes ce qu'ils consomment… ils seraient beaucoup moins nombreux. Déjà que de voir ces meurtres les horripilent. Ce pourquoi il se tue en Europe des millions de bêtes tous les jours sans que jamais personne ne les voient mourir !! « Si les murs des abattoirs étaient couverts de vitrines, tout le monde deviendrait végétarien » déclare Paul McCartney, végétarien au long cours.
Un mot encore sur la bio. Ne pas oublier de favoriser ce qui est de saison et ce qui se produit en circuits courts. Et ne pas oublier que si, pour obtenir des tomates (même bio) en janvier ou février, il faut traiter le travailleur du Sud de l'Europe ou du Magreb comme un semi-esclave, ce n'est plus de la bio... qui se doit d'être aussi sociale ; mais encore un subterfuge du capitalisme qui sait s'adapter à toutes les envies consommatrices.
Bref, je me sens être ce vieil écolo pionnier ; et fier de l'avoir été. On a simplement senti avant bien d'autres les priorités et urgences à venir. D'ailleurs, je suis loin d'être le seul. Les campagnes dites retirées ne sont-elles pas pleines de rebelles cachés pour favoriser le troc, le circuit court au maximum et ainsi échapper au pouvoir des bureaucrates parisiens ?
Mais puisque je m'expose, j'assume.
Et si vous avez des commentaires, envies d'échanges et questions...
En ces temps, tout presse ! Aidons-nous !
André Larivière, Début mai 2020